Gendarmerie et montagnes : de l’adaptation au milieu hostile à la spécialisation des missions de secours
4 novembre 2019 – Par le commandant Jean-François Nativité
Policer les zones montagneuses ? Voilà une ambition qui semble de prime abord plus relever de l’utopie sécuritaire que de la réalité, tant cet univers naturel semble éloigné, dans l’imaginaire collectif, de l’implantation et de l’action policière. Pour autant, par les densités humaines, les contraintes du relief et du climat, ou encore les rythmes saisonniers marqués qui les caractérisent, les milieux montagnards, tels que les définissent les géographes, ont de tout temps mis à l’épreuve les dispositifs généraux de police.
Avant de devenir un terreau d’innovation en matière de sécurité, de spécialisation et de professionnalisation des secours, la montagne française a d’abord fait figure d’espace singulier à conquérir dans l’optique d’un processus étatique de civilisation. En tant que bras armé historique de l’État, la gendarmerie a d’emblée été confrontée au phénomène.
Dès le XIXe siècle, l’investissement des territoires montagnards avait fait figure, pour l’Institution, de défi en matière de gestion de l’ordre. Au désordre alpin né de l’instabilité politique italienne répondait le rituel pyrénéen, longtemps affirmé par une culture d’objection et de détournement, refusant l’assimilation. Dans ces lieux, longtemps les forces de gendarmerie furent numériquement dérisoires. Or, comme dans le reste de la France, une brigade de cinq hommes était censée « maintenir l’ordre et l’exécution des lois » quels que soient la superficie, la population, le relief ou la situation du canton. Dans les hautes vallées pyrénéennes, l’inadéquation de ces normes nationales était flagrante. « Dans aucune autre partie du territoire national, écrivait le Mémorial des Pyrénées en février 1841, la gendarmerie ne rencontre plus de difficultés que dans nos contrées ». En haute vallée d’Aure (Hautes-Pyrénées) par exemple, la brigade la plus proche de la frontière était Arreau. Son accès n’était possible qu’à pied et se trouvait à plus de deux heures de Saint-Lary.
La brigade de Castillon (Ariège) devait à elle seule surveiller quatre vallées ! Celle de Massat devait, avec un effectif normal, assurer la sécurité d’une soixantaine de hameaux ou de bourgs. Pareille situation était d’autant plus dommageable que ces vallées pyrénéennes étaient alors le théâtre de troubles chroniques : conflits pastoraux, délits forestiers, insoumission, contrebande avec l’Espagne… L’incapacité des forces de l’ordre avait fait de ces lieux des espèces de zones franches où, de l’aveu même des autorités, pullulaient délinquants et marginaux.
Si la Grande Guerre et son rite sacrificiel d’intégration avaient fini par pacifier le milieu montagnard en mettant fin à près d’un demi siècle de résistance aux innovations de la société française, avec la lente assimilation des populations aussi bien par le haut (via l’instauration d’une économie de marché nationale, la déconcentration publique, le règlement de la question forestière et la scolarisation), que par le bas (entrée en politique, promotion sociale, etc.), l’inadaptation du service gendarmique en milieu montagnard, évoquée dès le début des années 1920 dans certains rapports de brigades, était restée lettre morte. Alors que l’introduction des skis dans le Briançonnais datait du début du siècle, il fallut attendre la circulaire ministérielle du 29 septembre 1926 pour que leur usage en gendarmerie départementale soit codifié pour les opérations de sauvetage.
C’est l’expérimentation des premières brigades frontières (B.F.) en 1936, après le déclenchement de la guerre d’Espagne, qui amena l’Institution à se pencher davantage sur les conditions de service du gendarme affecté dans des résidences d’altitude (entre 800 et 1 300 mètres). En plus de l’expérimentation, dans la compagnie des Basses-Pyrénées, de deux brigades de gendarmes à ski (les brigades d’Urdos et de Laruns), destinées à pérenniser la surveillance frontalière durant les mois d’enneigement, la gendarmerie avait aussi avalisé l’emploi, durant la période froide, d’un supplément d’effets (béret, paletot canadien, chandails, brodequins ferrés, gants fourrés et manteau à capuche). Cette panoplie fut associée à des accessoires de neige. Il fallut néanmoins attendre 1942 pour que ce projet prenne corps et que les gendarmes skieurs bénéficient d’effets comparables à ceux des corps alpins de l’armée de terre. Ces dotations furent par la suite complétées en juin 1947.
Le basculement essentiel de la sûreté (violences, contrebande, délits forestiers) à la sécurité (prévention des risques et secours), intervient au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec le développement du tourisme et des sports alpins. L’accroissement important du nombre d’accidents conduit la direction de la gendarmerie à mettre sur pied des unités spécialisées. Depuis 1958, date de la création du groupe spécialisé de haute montagne de Chamonix, l’Institution dispose deux types d’unités : les Pelotons de gendarmerie de haute montagne (PGHM – selon la dénomination reçue en 1972) au nombre de seize, présents dans les Alpes, les Pyrénées, en Corse ou encore à la Réunion, et les six Pelotons de gendarmerie de montagne (PGM), créés en 1993, qui couvrent le Massif central, les Vosges et le Jura.
Ces pelotons de haute et moyenne montagnes ont une compétence territoriale étendue au département et, en tant que de besoin, aux massifs sur lesquels ils ont vocation à intervenir. Ils sont spécialement destinés aux missions de secours, aux enquêtes judiciaires concomitantes et à l’exercice de la police administrative. L’action de la gendarmerie en zone montagneuse repose aussi sur les quelque 250 brigades territoriales de montagne et de haute montagne qui exercent leurs missions par tous les temps sur l’étendue de leur circonscription et peuvent participer à des missions d’aide et d’assistance. Les unités du cadre général de la gendarmerie départementale comprennent également les pelotons de surveillance et d’intervention, les unités de recherches des compagnies, ou des groupements de montagne, et les unités d’autoroute « classées montagne » et les Groupes montagne gendarmerie (GMG) constitués de gendarmes des unités territoriales volontaires, ayant réussi les formations montagne dispensées par les PGHM. Sont également classés de la sorte les escadrons de la gendarmerie mobile et pelotons montagne de la gendarmerie mobile (PMGM) qui renforcent les unités départementales, principalement au moment des saisons estivales et hivernales. En 2015, environ 5 000 hommes (officiers et sous-officiers) étaient affectés au sein des différentes unités de montagne et l’on dénombrait 292 gendarmes spécialistes aguerris dans la pratique du ski, de l’alpinisme et de la spéléologie, répartis dans les unités de secours.
En outre, la gendarmerie dispose, depuis 1989, d’une unité de formation du personnel des unités de montagne, le Centre national d’instruction de ski et d’alpinisme de la gendarmerie (CNISAG), basé à Chamonix. Enfin, depuis le 1er août 2014, une Unité de coordination technique montagne (UCTM) y a également été créée. Composée d’officiers ayant l’expérience du commandement de PGHM et de gradés supérieurs de la spécialité montagne, elle dépend directement de la direction générale de la gendarmerie nationale. S’inscrivant dans une logique de démarche qualité et de réduction des risques, ses missions consistent à appuyer les unités spécialisées montagne de la gendarmerie et à les évaluer.