REPORTAGE. « Une bataille navale en pleine forêt » : en Guyane, les gendarmes face aux pilleurs d’or
Voler l’or est un boulot de forçat. Le protéger, un travail d’Hercule. Sous l’humide, dense et étouffante canopée amazonienne, deux forces se traquent, s’épient, se défient sur des millions d’hectares : d’un côté les garimpeiros, les chercheurs d’or clandestins. De l’autre, les hommes et femmes de Harpie, l’opération française de lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane.
Pour comprendre ce tactique et éprouvant face-à-face, rendez-vous en ce matin brûlant de juillet, avec les gendarmes de l’escadron mobile 42/2 de Guéret basés à Maripasoula, le long du fleuve Maroni. Cette commune, la plus étendue et la moins densément peuplée de France, est l’une des portes d’entrée des sites d’orpaillage.
En face, c’est le Surinam d’où provient clandestinement la majorité du matériel : moto-pompes, propulseurs, concasseurs, quads, jerricans de carburant… Et par où transitent les fouineurs alluvionnaires essentiellement brésiliens, leurs logisticiens parfois de mèche avec des Guyanais et leurs prostituées.
Prêtres et bijoutiers
«Jusqu’à leurs prêtres et leurs bijoutiers qui transforment sur place les pépites, raconte le chef John Mazureck, de la cellule d’investigation.Certains sites illégaux sont montés comme des villages!»
Ce jour-là, quand il contrôle le site de Yaou, récemment détruit, le professionnel n’en revient pas : « Regardez, il y a encore un moteur, la pompe, des outils. Ils sont revenus ! C’est un travail de fourmi. Vous les chassez le lundi, ils reviennent le mardi. » Le capitaine Philippe Frémon, commandant de l’escadron, a préparé ses troupes à cette guerre stratégique en forme de robinsonnade équatoriale. Pendant les trois mois où ils oeuvreront aux côtés des militaires, policiers, douaniers, gardes du parc amazonien, il faudra sans cesse « déjouer le côté créatif et hyper réactif des garimp’. C’est une bataille navale en pleine forêt. Parce qu’au-delà du volet répressif, des interpellations et de la destruction de sites, notre action est de les gêner le plus possible ». Au premier semestre 2018, 31 traficants ont été condamnés.
Perturber les sentiers d’approvisionnement, filtrer les cours d’eau, notamment en installant des barges de contrôle de pirogues sur le fleuve, repérer les « dégrad », lieux de mise à l’eau, où sont déchargés vivres et matériel, scruter la porosité entre les sites légaux et illégaux, écouter les habitants, les meilleurs connaisseurs des affres et désastres de l’orpaillage. « En plus du caractère illégal, il y a toutes les conséquences sur l’environnement avec, entre autres, le déboisement, la pollution de l’eau au mercure, commente le lieutenant-colonel Laurent Vuillerez, commandant du Centre de Conduite des Opérations Harpie, à Cayenne. Cela pèse sur les fragiles équilibres sociaux de ces communes de l’intérieur. Il est impossible de surveiller H24 chaque site, c’est pourquoi la lutte à la source contre les moyens est essentielle tout comme le volet diplomatique avec le Brésil et le Surinam. »
Avec un cours élevé du gramme d’or actuellement à 32/33 euros, un Brésilien de la région pauvre et frontalière de l’Amapa, peut gagner en quelques jours, en Guyane, l’équivalent de son SMIC local d’environ 200 euros. Les gratteurs de la terre n’ont pas fini de suer et s’échiner dans la forêt. Pour l’heure, à Yaou, les vigies d’Harpie sortent les coupe-coupe, cisaillent la pompe et brisent le moteur.