Situé dans l’océan Pacifique à 22 000 kilomètres de Paris, la Nouvelle-Calédonie est constituée de dizaines d’îles. Surnommé le “caillou”, cet archipel a rendez-vous avec l’Histoire cette année. Il y a 30 ans tout juste, le territoire connaissait l’un des épisodes les plus sanglants de son histoire avec la prise d’otages à Ouvéa. On vous explique d’abord en 1’30 l’affaire d’Ouvéa et ses suites dans ce résumé avec des images d’archives :
La parole aux témoins
Du drame de la gendarmerie de Fayaoué, à Ouvéa, le 22 avril 1988 jusqu’à la poignée de mains historique entre Jean-Marie Tjibaou, leader du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste) et Jacques Lafleur, ancien chef de file du RPCR (Rassemblement pour la Calédonie dans la République), le 26 juin 1988, scellant les accords de Matignon, nous reviendrons jour après jour sur ces événements.
Gendarmes, preneurs d’otage, porteurs de thé, politiques, institutrice, commerçant, enfant de l’époque ou mère de famille, de la Nouvelle-Calédonie aux couloirs de Matignon : durant deux mois, La1ère donne la parole aux « petits et grands témoins » de 1988. Intitulé « Il y a 30 ans », cette série de témoignages est à retrouver sur les sites internet de La1ère, NC1ère, sur les pages Facebook et Twitter de La1ère et NC1ère, mais aussi sur France Ô à 18h50 (heure de Paris).
1868 : Cantonnement de la population kanak dans les réserves.
1878 : Insurrection des Kanak menée par le grand chef Ataï contre la colonisation.
1946 : La Nouvelle-Calédonie devient territoire d’Outre-Mer.
1947 : Fin du code de l’indigénat en Nouvelle-Calédonie.
1975 : Organisé par Jean-Marie Tjibaou, le festival Mélanésia 2000 est le premier festival des arts mélanésiens.
Le contexte politique et social des années 1980
Dès le début des années 80, indépendantistes et non indépendantistes s’opposent. En 1981, François Mitterrand est élu président de la République, les positions se radicalisent. La Nouvelle-Calédonie entre dans une période de tensions intenses appelée “les événements” et marquée par des meurtres, des attentats, des émeutes, des embuscades, des fusillades et des expulsions. L’état d’urgence est mis en place et les forces militaires françaises sont renforcées. Trente ans plus tard, des témoins de l’époque qualifient cette période « de guerre”.
Regardez ci-dessous les explications d’Olivier Houdan, historien :
En 2013, un groupe d’historiens a proposé de délimiter cette période des “événements” par les assassinats de Pierre Declercq, élu du front indépendantiste, secrétaire général de l’Union Calédonienne, en 1981, et ceux de Jean-Marie Tjibaou, président du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), maire de Hienghene, Yeiwéné Yeiwéné, membre du FLNKS, et l’élimination physique de Djubelly Wéa, en 1989.
“Dans cet encadrement temporel émaillé d’un certain nombres de crises, de crispations et de situations paroxysmiques, une cinquantaine de personnes vont mourir du fait d’affrontements directs armés entre les deux grands groupes qui s’opposent : le FLNKS et le RPCR, c’est-à-dire entre les indépendantistes et les non-indépendantistes, nommés aussi loyalistes”, explique Olivier Houdan, historien.
Regardez ci-dessous les images de RFO Nouvelle-Calédonie sur les tensions en 1984 et l’interview du leader indépendantiste Eloi Machoro :
L’embuscade de Hienghène et la mort d’Eloi Machoro
Cette situation de crise va déchirer la Nouvelle-Calédonie et les familles de cet archipel pourtant soudées par de nombreux liens familiaux et par la pratique coutumière. Le 5 décembre 1984 fait partie des dates marquantes de cette période. Ce jour là, dix Mélanésiens (dont deux frères Tjibaou) sont assassinés à Hienghène, sur la côte Est de la Province Nord, lors d’une embuscade tendue par des fermiers caldoches (le terme désigne la population européenne installée depuis plusieurs générations en Nouvelle-Calédonie, ndlr).
Le 11 janvier 1985 marque également la mort du leader indépendantiste, Eloi Machoro abattu durant une opération du GIGN à La Foa. Sa disparition secoue le territoire jusque dans les îles. “Il était le symbole de ce que nos anciens n’osaient pas faire ou dire, estime Gaston Nedenon, un des proches d’Eloi Machoro en 1988. Il avait un discours direct sur les revendications des terres, il disait des choses qui faisaient mal à entendre pour les colons mais c’était des vérités.”
Regardez ci-dessous le témoignage de Gaston Nedenon, proche d’Eloi Machoro :
Le référendum de 1987
En septembre 1987, lors du référendum sur l’accession à l’indépendance, 98% des votants votent pour le maintien du Territoire au sein de la République, mais le taux d’abstention est de 41%. L’incompréhension entre les deux camps s’aggrave.
Regardez ci-dessous les reportages de RFO Nouvelle-Calédonie sur les barrages qui se multiplient à Saint-Louis en 1987 :
La peur d’une “guerre civile” à Nouméa
Chef-lieu de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa compte près de 65 000 habitants en 1988. Cette année là, de nombreuses manifestations dégénèrent dans le centre ville.
”On sentait bien que quelque chose allait se passer en Nouvelle-Calédonie,raconte Jean Lèques, maire Rassemblement-UMP de Nouméa en 1988. Nous étions à la veille du deuxième tour de l’élection présidentielle, il y avait eu de nombreux incidents lors des élections régionales, l’atmosphère était pesante, lourde. Les gens étaient inquiets, ils avaient peur de ce qu’il risquait de se passer”.
“Personnellement, je ne me suis jamais senti assiégé, mais il faut le reconnaître, les gens avaient peur, poursuit l’ancien maire de la ville. Nous craignions que ce qu’il se passait à l’intérieur du pays (affrontements à Canala et Thio) se produise aussi à Nouméa. Le risque était qu’il y ait une guerre civile”.
Regardez ci-dessous le témoignage de Jean Lèques :
“Ko We Kara”, la case de l’amitié pour tenter d’apaiser
C’est un des paradoxes de cette période. Alors que les communautés sont dressées les unes contre les autres, la chanson « Ko We Kara » (la case de l’Amitié) résonne sur tout le territoire.
“A partir de 1984, je sentais les tensions monter, il y avait des paroles déplacées, une arrogance terrible de part et d’autre, raconte Gérard Yamamoto, auteur de “Ko We Kara”. En tant qu’artiste, on se devait d’apaiser tout ça. Il fallait une chanson qui rassemble, qui dise à tout le monde qu’on est dans le même pays, la même pirogue”.
“Ko We Kara” signifie “la case de l’amitié”, “c’est l’endroit où l’on partage, où l’on se réunit, où l’on fait de grandes palabres pour la paix”, explique Gérard Yamamoto. En français, en nengone (langue de Maré), en wallisien, en indonésien, en tahitien, en créole, en français, en kanak : chanter dans toutes les langues, avec ces paroles, l’artiste veut rassembler. A peine sortie, la chanson “fait un tabac”, le comité des jeux du Pacifique en fait même son hymne, mais les tensions restent vives.
Retrouvez ci-dessous le témoignage de Gérard Yamamoto :
Retrouvez ici le clip de “Ko We Kara” :
La richesse minière
Du point de vue économique, la Nouvelle-Calédonie est régie par la mine. Après la découverte du nickel en 1864, le pays oscille entre des phases d’enrichissement et de sévères récessions. A la fin des années 60, la Nouvelle-Calédonie connait une phase d’expansion économique exceptionnelle appelée « boom du nickel ». Les cours ne cessent alors d’augmenter. Des chantiers de prospection, des routes d’exploitation et de transport du minerai s’ouvrent, les infrastructures se développent sur la Grande Terre.
“La Nouvelle Calédonie détient 25% des réserves mondiales de nickel, explique Pierre Boisson, PDG d’Eramet en 1988. Durant les événements des années 80, il y a eu des difficultés, mais elles ont révélé à quel point le personnel pouvait se mobiliser face aux problèmes tel que le sabotage du matériel d’usine”.
Regardez ci-dessous le témoignage de Pierre Boisson :
La vie à la tribu de Gossannah
Durant ces années 80, les événements qui secouent la Grande-Terre ont aussi des répercussions dans les îles. Dans le nord de l’île Ouvéa, la volonté d’indépendance est très forte. Théâtre de “guerre” en avril 1988, la tribu de Gossannah était déjà bien avant un symbole de la “lutte indépendantiste” de l’époque.
“Les Ecoles Populaires Kanak (EPK) se sont créées dans tous le pays, mais au niveau de Gossannah, elle était un lieu très fort et symbolique, estime Maki Wea, figure de Gossannah. Ces structures ont été fondées en 1984, lors du boycott actif des élections. Le FLNKS avait aussi lancé des mots d’ordre pour que le peuple mette en place dans chaque région des comités de lutte pour accompagner le peuple vers l’émancipation et l’indépendance”.
“Nous avons appliqué le boycott de l’armée coloniale, du sport, de l’alcool, du tabac et de l’école coloniale. La tribu fonctionnait par ses propres moyens : l’école, des structures pour la pêche, le copra, la santé, mais aussi un mouvement de femmes structuré. A cette époque là, nous nous sentions indépendant”, affirme Maki Wea.
Regardez ci-dessous le témoignage de Maki Wea :
Les tensions se cristallisent en 1988
En avril 88, même si des barrages ont été levés, il reste des foyers de tensions sur le territoire. “On est loin de la paix dans les coeurs”, note Olivier Houdan, historien.
Le 22 avril, nous sommes à la fin de la première cohabitation, à deux jours du premier tour de l’élection présidentielle qui voit s’affronter le Président de la République, François Mitterrand, et son Premier ministre, Jacques Chirac. Nous sommes aussi à deux jours des élections régionales en Nouvelle-Calédonie qui doivent entériner un nouveau statut pour le territoire. Mis au point par Bernard Pons, secrétaire d’Etat RPR des DOM-TOM, ce “statut Pons” est un redécoupage qui désavantage les indépendantistes. Ils n’acceptent pas l’association des deux scrutins à enjeu territorial et national, et récusent la date et les modalités d’organisation du scrutin.
Regardez ci-dessous la déclaration de Bernard Pons avant le scrutin :
Le FLNKS décide de boycotter ces élections régionales. Sur le terrain, cela se traduit par la volonté d’occuper pacifiquement les gendarmeries de Tadine, à Maré, de Wé à Lifou et Fayaoué à Ouvéa. L’une de ces occupations va déraper. Les deux autres n’auront pas lieu.
De l’occupation à l’attaque de la gendarmerie de Fayaoué
En 1988, Yvon Wanakame n’avait pas encore 18 ans. Il prépare le thé pour ses papas chez lui, lorsqu’il entend leur conversation. “Ils parlaient des élections de 88, pourquoi et comment on allait les boycotter et comment on allait intégrer la gendarmerie”, raconte-il.
Ce matin du 22 avril 1988, Yvon fait partie des militants qui entrent dans la gendarmerie de Fayaoué. “Nous avons longé la chefferie pour se positionner derrière la gendarmerie. Nous sommes arrivés à l’aube, l’herbe est humide, il fait froid. A quatre mètres de nous, les gendarmes donnent à manger à leurs cochons, se souvient Yvon Wanakame. Quand le jour est levé, nous sommes derrière l’armurerie. Un coup de feu retenti, et juste après un gendarme crie “alerte”. Les gendarmes courent alors partout, nous sommes intervenus, obligés de sauter la barrière. Arrivé devant l’armurerie, ça a éclaté de partout”.
L’action dégénère, quatre gendarmes sont tués (l’adjudant-chef Georges Moulié, les gendarmes Edmond Dujardin, Daniel Leroy et Jean Zawadzki), 27 autres sont pris en otage et trois indépendantistes sont blessés. Le 22 avril, les trois gendarmes permanents de Fayaoué étaient en postes, renforcés par vingt-huit gendarmes mobiles en prévision des élections.
Comme le paroxysme d’une période de tensions et de divisions profondes, le drame d’Ouvéa frappe la Nouvelle-Calédonie.
Regardez ici le témoignage d’Yvon Wanakame, ancien preneur d’otages :
A suivre…