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Le - Le logiciel AnaCrim de la Gendarmerie, un « outil d’aide à l’enquête »

Le logiciel AnaCrim de la Gendarmerie, un « outil d’aide à l’enquête »

Le lieutenant-colonel Karine Lejeune, de la Gendarmerie nationale, précise pour Sciences et Avenir comment le logiciel AnaCrim a aidé les enquêteurs à démêler les indices de l’affaire Grégory… et dans quels autres cas les enquêteurs l’utilisent.

AnaCrim

Image d’illustration : brigade de la gendarmerie en charge de la lutte contre la cybercriminalité (il ne s’agit pas des équipes que nous évoquons dans l’article) VALINCO/SIPA 

Les derniers rebondissements de l' »affaire du petit Grégory » ont mis au premier plan un acteur inattendu : AnaCrim, logiciel d’analyse de données utilisé par la Police et par la Gendarmerie nationale et que nous vous présentions dans un article précédent. Le lieutenant-colonel Karine Lejeune, porte-parole de la Gendarmerie nationale (un poste tout juste créé en 2016) a accepté de répondre à nos questions. De quoi préciser l’apport du programme informatique dans l’enquête, et savoir comment et dans quelles situations les analystes du Service central de renseignement criminel (SCRC) l’utilisent : AnaCrim a en effet été utilisé pour l’affaire des disparus de l’Yonne, et sert aussi à démanteler des réseaux de trafic de stupéfiants. 

12.000 procès verbaux à resituer dans le temps et l’espace

« Les analystes criminels travaillent sur AnaCrim dès qu’il s’agit de dossiers volumineux et complexes à réordonner et resituer dans le temps et l’espace, comme le sont typiquement les ‘cold cases’, ces dossiers qui tardent à être résolus« , indique le lieutenant-colonel Karine Lejeune. « Dans le cas de l’affaire Grégory, cela a nécessité  la reprise minutieuse de 12.000 procès-verbaux, des 2.000 lettres anonymes et des centaines de témoignages et d’auditions réalisées »

DONNÉES. Toute pièce à conviction dotée d’une valeur judiciaire entre ainsi dans le giron de l’outil, y compris les indices issus des analyses de laboratoire ou prélevés sur la scène de crime « puisque tout ce qui donne lieu à procès-verbal sur l’affaire a été intégré, y compris les conclusions de l’investigation criminalistique. »  L’idée est de n’intégrer que ce qui peut faire la différence au tribunal, c’est-à-dire uniquement « des données issues de l’enquête, recevables dans le cadre du code de procédure pénale ».

L’analyse de graphes, outil de communication entre enquêteurs et magistrats

S’il est question d’analyse de données avec AnaCrim, son intérêt est avant tout de mettre en forme les données de l’enquête sous forme visuelle. « Sur ce dossier, il serait impossible à un nouvel enquêteur d’y voir clair », constate le lieutenant-colonel. « Les événements datant d’il y a plus de 30 ans, le logiciel nous aide à opérer des recoupements sur plusieurs milliers de pièces ». Une performance qui serait impossible à un seul cerveau humain, et qui permet de « pointer les incohérences et contradictions entre les témoignages. » À cet égard, AnaCrim facilite aussi le dialogue entre les enquêteurs et la justice. « Nous pouvons présenter les cartographies d’AnaCrim aux magistrats qui sont plus lisibles sous cette forme de réseaux de graphes. » Preuve que l’adage « une image synthétique vaut mieux qu’un long discours » a toujours cours.

DÉBLOCAGE. Autrement dit, le logiciel n’apporte aucune nouvelle pièces aux enquêtes … mais aide surtout à les voir avec de nouveaux éclairages. « AnaCrim nous permet de soulever de nouvelles pistes à partir des indices existants, ou de prioriser les pistes déjà identifiées, résume Karine Lejeune. Pour la Gendarmerie nationale, c’est un outil numérique d’aide à l’enquête. »

Un logiciel utilisé pour les disparitions de personnes… et le trafic de drogues

Pourquoi un tel coup de théâtre 33 ans après les faits ? « Le magistrat a demandé en 2016 aux analystes criminels de retravailler sur les pièces à conviction de la première année de l’enquête », rappelle le lieutenant-colonel. Pendant 8 mois, les analystes criminels du SCRC du pôle judiciaire de la gendarmerie à Pontoise ont ainsi repassé le dossier au peigne fin afin d’assurer la saisie des éléments d’enquête dans le logiciel. Un succès humain plus que technologique, comme le rappelait le général Olivier Kim : « AnaCrim ne serait rien sans intelligence humaine, le rôle des analystes a été fondamental. »

APPLICATIONS. Bien que soudainement médiatique, le logiciel est utilisé depuis une dizaine d’années, « principalement par la Gendarmerie nationale. » Il est utilisé au quotidien par les 400 analystes criminels du Service central de renseignement criminel (SCRC). Dans quelle situation a-t-on recours à AnaCrim ? « Il s’agit d’enquêtes où de nombreux protagonistes aux interactions complexes entrent en jeu », ajoute-t-elle. Entre autres cas d’usage où AnaCrim est utilisé, on trouve « les disparitions de personnes (dont l’affaire des disparus de l’Yonne), mais aussi les trafic de stupéfiants ou les fraudes bancaires ».  L‘analyse de graphe peut ainsi clarifier des échanges répétés mais enchevêtrés comme « des transactions bancaires ou des appels téléphoniques faisant intervenir de nombreux intermédiaires. » Autre exemple emblématique de scandale où l’analyse de graphe a fait parler les données : les Panama papers.

Logiciel AnaCrim : analyse de données et coup de théâtre dans l’affaire Grégory

Nouveau bouleversement sur « l’affaire du petit Grégory » : 3 personnes ont été placées en garde à vue. Et le tout grâce à un logiciel, intitulé AnaCrim, utilisé par la police judiciaire, et reposant sur la théorie des graphes afin d’analyser les relations entre les témoins.

COLD CASE. Le meurtre sordide du petit Grégory Villemin, il y a plus de 30 ans, aurait pu être une affaire non classée (appelées en anglais cold cases) de plus. C’était sans compter sans un coup de théâtre impromptu qui vient apporter un énième rebondissement au dossier : l’arrestation du grand-oncle, de la grand-tante, ainsi que de la tante par alliance de la victime. La clé de l’affaire ? Un logiciel d’analyse de données appliqué aux affaires criminelles, appelé AnaCrim (lien vers la fiche du traitement informatique sur le site de la CNIL) et utilisé par la gendarmerie ainsi que par la police judiciaire française afin de croiser tous les indices recueillis. Le programme aurait permis de découvrir un faisceau d’indices impliquant plusieurs suspects. Explications.

Analyste criminel : une nouvelle profession pour la gendarmerie et la police

Initialement développée par la société canadienne i2, puis rachetée par iBM, la solution Analyst’s Notebook a donné lieu au logiciel AnaCrim. Il est utilisé en France par le Service central du renseignement criminel (SCRC) depuis une dizaine d’années. Les méthodes sont standardisées à l’échelle européenne. « L’objectif : mettre en évidences les incohérences dans l’emploi du temps d’un témoin ou d’un mis en cause, des contradictions entre certains témoignages et les observations faites par les enquêteurs. Les analystes criminels ont ainsi minutieusement retranscris tous les éléments constatés par les enquêteurs sur le terrain ou les détails figurant dans une audition », a expliqué le colonel Didier Berger, chef du Bureau des affaires criminelles (BAC) de la gendarmerie à nos confrères du Parisien.

MÉTIER. Les analystes en recherches criminelles (ou ARC) sont en fait des officiers de police judiciaire spécifiquement formés à l’utilisation d’Anacrim. Ils sont formés spécifiquement à cette fin au Centre national de formation de police judiciaire, une partie des cours étant donnée par l’université de technologie de Troyes (UTT). Les futurs analystes y apprennent à appliquer les outils informatiques aux finalités d’une enquête policière. « Intégrer les données, rechercher et visualiser les liens entre les divers protagonistes, leur implication dans l’affaire, la chronologie des faits, et enfin l’interprétation des données », indique le programme de la formation.

Une affaire complexe agrégée en une base de données

Le procureur général Jean-Jacques Bosc a tenu à éclaircir, jeudi 15 juin 2017 dans l’après-midi, les dernières découvertes de l’enquête au cours d’une conférence. Il y a présenté les dernières conclusions de l’analyse en écriture (analyse graphologique de la lettre manuscrite, et analyse syntaxique des deux lettres dactylographiées) sur les écrits envoyés par le « corbeau » de l’affaire. « L’analyse criminelle montre que plusieurs personnes ont concouru à la réalisation du crime », a-t-il révélé. Pour le Général de brigade Olivier Kim, cela représente un véritable « tournant dans l’exercice de la police judiciaire, qui a vu le travail conjoint de la cellule d’enquête de Dijon avec les Services centraux du renseignement national (SCRN) ».

RECOUPEMENTS. Le Général Olivier Kim a ainsi pu préciser le fonctionnement d’Anacrim : « Des milliers de pièces à conviction ont pu être recoupées grâce à Anacrim » (…). « Mais Anacrim n’est qu’un support automatique qui ne fonctionne pas sans intelligence humaine. Le rôle des analystes a été fondamental afin de resituer les personnages-clés dans le temps et dans l’espace. »

Capture d’écran du logiciel d’IBM i2 Analyst’s Notebook sur lequel se base le logiciel AnaCrim / Crédits : IBM

L’analyse de graphes pour soulever de nouvelles pistes

Concrètement ? L’analyse criminelle repose en grande partie sur la représentation visuelle par graphe, permettant d’identifier plus facilement les liens entre différents acteurs d’un réseau… ou les incohérences dans leurs déclarations pendant l’enquête.  Pour chaque dossier, « on constitue une base de données avec tout ce que tout le monde dit et fait, ce volume global est  ensuite transposé sur un gros schéma sur lequel on zoome en fonction de ses recherches », résumait un ancien Analyste criminel au journal L’Alsace. Il faut « tirer le fil de la pelote », concluait-il.

Ci-dessous, un aperçu des possibilités de l’analyse de graphes dans la lutte contre la criminalité et le terrorisme. Le programme ainsi « permet d’identifier immédiatement les liens entre différentes entités, même si elles n’ont pas de rapport évident entre-elles », ainsi que de « détecter les anomalies dans le graphe », comme l’explique la démonstration. On comprend alors comment ce type d’outil a permis de détecter les incohérences dans les déclarations des différents témoins, et de placer 3 suspects en garde à vue. Le procureur a toutefois indiqué ne pas savoir précisément « qui était l’auteur du crime » à ce stade. 

Présentation d’une version précédente du logiciel qui est ensuite devenu AnaCrim

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