Terrorisme : Lettre ouverte au
Président de la République
concernant la sécurité
nationale
Par Eric Delbecque Mis à jour Publié
FIGAROVOX/TRIBUNE – Suite aux multiples attentats en France et en Europe, une profonde inquiétude traverse les opinions publiques. Éric Delbecque propose au Président Macron de déployer une véritable stratégie anti-terroriste reposant sur la société civile.
Éric DELBECQUE est Directeur du département intelligence stratégique de SIFARIS et l’auteur de: Le Bluff sécuritaire aux éditions du Cerf.
Monsieur le Président, l’attentat de Londres démontre une fois encore que les idéologies totalitaires ont hélas de beaux jours devant eux au XXIe siècle… Le djihadisme salafiste met à l’épreuve les sociétés libérales et démocratiques parce qu’il tente de nous pousser au raidissement sécuritaire. Son objectif est clair: propager un climat de guerre civile entre les Français, diffuser l’idée que le choc des civilisations existe, et encourager des mesures d’exception qui enclencheront une ascension vers les extrêmes qui ne peut pas avoir d’issue.
Nous devons, même si cela nous heurte, accepter l’idée que nous vivons dans des sociétés vulnérables. C’est la contrepartie des libertés dont nous jouissons en République. Le risque zéro apparaît comme une illusion parce que le réel lui-même est incompatible avec cette exigence, mais aussi parce qu’il pourrait justifier un grignotage lent et systématique des droits que nous jugeons les plus essentiels.
Le terrorisme islamiste veut d’abord sidérer les esprits, asservir par la peur, imposer l’angoisse en démontrant que personne n’est en sécurité. Car c’est bien là le sens de tous les attentats que nous avons vécus: il n’y a pas de cible unique. Peuvent être touchés aussi bien des symboles de l’État que sont les policiers et les militaires, des enfants dans des écoles, des jeunes gens dans des salles de spectacles, des familles lors des festivités d’un 14 juillet, des représentants religieux, des collaborateurs ou des dirigeants d’une entreprise, etc. La liste pourra encore s’allonger, dans la mesure où il s’agit d’ancrer la conviction qu’il n’existe pas de sanctuaire. Finalité que notre époque de saturation médiatique favorise puisque chaque attentat suscite une telle inflammation du cybermonde, ainsi que de la presse écrite et audiovisuelle, que l’événement obtient une résonance sociétale assourdissante. Il ne s’agit pas de faire le procès de quiconque – notamment des journalistes, puisqu’une responsabilité collective explique «l’infobésité» – mais de constater un fait.
Engager le procès de nos services de sécurité et de renseignement lorsque se produit un drame me semble particulièrement injuste. Non seulement les hommes et les femmes qui servent la France au sein des unités de Police, de Gendarmerie, de l’Armée de Terre, de l’Air et de la Marine, manifestent un dévouement sans faille dans des conditions souvent difficiles, mais de surcroît, ils ne peuvent apporter une solution globale à un problème qui appelle d’autres mesures que sécuritaires.
Il faut bien évidemment mobiliser toute notre créativité opérationnelle et intellectuelle pour mettre en œuvre les méthodes et les instruments les plus précis visant à anticiper autant que faire se peut les projets d’attentats. Toutefois, les services compétents ne peuvent pas devenir les boucs émissaires faciles du tissu même de l’existence: la part d’imprévisible que contient inévitablement la liberté humaine.
Nous devons donc nous interroger profondément sur les racines du mal, et comprendre pourquoi des individus à peine sortis de l’adolescence vouent un culte à la violence et à la mort, pourquoi ils choisissent la barbarie plutôt que la vie. Nos bourreaux se trouvent parmi les enfants nés sur notre sol. Qu’avons-nous raté? Voici la question qu’il nous faut poser de manière obsessionnelle.
Non pas pour justifier je ne sais quelle haine de soi, culpabilisation permanente ou repentance malsaine, mais pour éviter de reproduire les erreurs qui fracturent une nation. De ce point de vue, la mise en accusation permanente du récit national par les élites hexagonales, la panne de l’ascenseur social qui voit croître la reproduction du même nom dans nos meilleures écoles, l’accroissement des inégalités et l’agressivité planétaire d’un capitalisme financier qui ne sait plus garder la mesure, forment un faisceau de tendances toxiques à la fabrication d’une saine cohésion nationale qui se définit comme une solidarité élémentaire entre les membres du corps social.
Ensuite, il semble naturel d’imaginer que le premier rempart de la démocratie est le citoyen. De ce fait, tout ce qui permet de renforcer l’engagement de chacun d’entre nous dans la défense de notre mode de vie s’affirme comme une dynamique positive à développer.
Favoriser l’épanouissement de la garde nationale, sur le modèle de la réserve opérationnelle et citoyenne de la Gendarmerie nationale, former le plus possible nos compatriotes aux actes élémentaires de la sûreté (vigilance, secourisme, mesures de base de la mise en sécurité de soi-même et d’autrui, etc.), financier la formation des petites structures qui n’ont pas les moyens d’accroître leurs connaissances et savoir-faire en matière de protection (en particulier les PME, les associations, les structures agissant dans l’univers culturel et du loisir, etc.), créer de manière générale une culture de sécurité solide et non paranoïaque, se signalent comme des actions fortes au service de l’idéal républicain et démocratique.
Vous suscitez de grands espoirs Monsieur le Président. Ce qui, après tout, est bien normal en regard de la dépression collective dont souffre notre pays depuis plus de vingt ans. Nous pensons être sortis de l’Histoire, nous parvenons difficilement à avoir confiance en nous-mêmes. Et nous savons que vous inaugurez le dernier quinquennat avant que les Français n’abandonnent toute espérance dans le système qui les gouverne, grignoté par les scléroses bureaucratiques multiples et les corporatismes les plus variés. Nous avons donc tous intérêt à votre réussite, qui serait celle de la France, et plus simplement la vôtre. En matière de sécurité, ce raisonnement s’impose encore plus fortement qu’ailleurs. Vous allez donner naissance à un nouvel organe, une «task force» antiterroriste dont nous connaissons encore mal les contours. Il serait capital qu’elle devienne un symbole fort d’une révolution copernicienne dans la manière hexagonale de considérer la sécurité: au XXIe siècle, cette dernière est une coproduction entre l’État, la société civile et les entreprises.
Les pouvoirs publics élaborent une stratégie, indiscutablement, mais les entreprises, les acteurs de la sécurité privée, les associations, les administrations et les simples citoyens en rendent l’effet maximal ou en minorent l’efficacité lorsqu’ils échouent à la relayer. Créer une chaîne de sécurité ne constitue pas une abdication régalienne mais témoigne de la cristallisation de l’État stratège si nécessaire à notre temps. Il serait donc stimulant et porteur d’innovation que ce rassemblement de spécialistes autour de vous à l’Élysée fasse une place légitime à des experts venus de la société civile et des entreprises. Enfin, la stratégie de sécurité nationale dont a besoin notre pays pourrait voir le jour! Elle se trouve en gestation dans les flancs de la République depuis 1995… Nous espérons beaucoup de votre singularité Monsieur le Président.