Bertrand Soubelet : le général s’engage
Ancien numéro trois de la gendarmerie, Bertrand Soubelet s’engage. Il veut devenir député pour « réoxygéner » le débat public. Audacieux ?
PAR JÉRÔME CORDELIER
La grande muette, ce n’est (définitivement) plus pour lui ! Ancien général de corps d’armée et numéro trois de la gendarmerie nationale, Bertrand Soubelet est en marche vers le Parlement. L’homme, on s’en souvient, a été évincé sans ménagement de ses responsabilités pour avoir, fin 2013 devant une mission parlementaire, dénoncé les carences étatiques dans la lutte contre la délinquance. Celui que la presse surnomma alors « le général courage » se retrouva ensuite aux côtés du candidat Emmanuel Macron, avant de claquer la porte du mouvement En marche !.
« Voter des lois simples, applicables et utiles »
Le voilà maintenant en campagne pour les élections législatives à Issy-les Moulineaux, ville où il vit depuis 20 ans. Une réelle expertise acquise par 35 ans de gendarmerie terminés au plus haut niveau, un caractère trempé façonné par une enfance et adolescence basques entre l’Atlantique et les Pyrénées, à Saint-Jean-de-Luz, où il est né voilà 58 ans (et dont il a gardé une jolie pointe d’accent), un discours sans langue de bois qui fait mouche, une notoriété médiatique grandissante, aucune tête d’affiche (pour le moment) en face… Les vents semblent porteurs. « Il est d’ores et déjà certain que 150 députés ne vont pas se représenter, pour conserver leur mandat local de maire, souligne Bertrand Soubelet. Il va donc y avoir une bouffée d’oxygène. » Et le politique néophyte de dresser un constat sans ambages : « Qui que soit le prochain président de la République, il n’y aura pas de majorité présidentielle. On ne pourra gouverner qu’avec des majorités de projet. Nous avons donc devant nous l’opportunité inédite de pouvoir faire voter les lois simples, applicables et utiles aux Français. »
« Le FN, c’est comme la peste »
Le général Soubelet devait courir sous les couleurs d’En marche !, il a jeté l’éponge. « Emmanuel Macron est venu me chercher pour que je l’aide sur la sécurité. J’y suis allé, j’ai apporté ce que je devais, précise-t-il. Pourquoi je suis parti ? Parce que faire de la politique autrement, ce n’est pas récupérer des vieux briscards de tous bords en utilisant des ficelles éculées. » Et toc ! Sur le papier, il aurait pu faire une bonne recrue aussi pour le mouvement des 577 lancé par Jean-Christophe Fromantin, qui aspire à rassembler des candidats de la société civile. Mais « Fromantin a été mangé par Fillon », tranche Soubelet, impitoyable. Re-toc ! L’homme se dit courtisé tous azimuts par les entourages des candidats à la présidentielle. Mais non, c’est non ! « Je ne suis pas une girouette », lâche-t-il. C’est, donc, « sans étiquette » que le candidat Soubelet guignera la députation. Sûr de son fait. « Le discours traditionnel des partis est devenu illisible, attaque-t-il. Le renouvellement ne peut pas venir d’eux, vu l’état de délabrement dans lequel ils se trouvent. Il y a désormais une place pour des gens avec une expérience et le sens de l’intérêt général que nous avons perdu… »
Celui qui s’est tu, par devoir, pendant toutes ces années, brise désormais le silence, sans tabous. Dans son deuxième livre, qu’il publie ces jours-ci aux éditions de l’Observatoire avec un titre qui vaut slogan Sans autorité, quelle liberté ?, Bertrand Soubelet ne craint pas de s’attaquer à nos grands mots – ou maux… – en prenant à la fois le FN et les cyniques de front. Plutôt rafraîchissant. Il se bat pour la restauration de l’autorité et le sens du drapeau, défend « une vraie politique de traitement de la politique étrangère », fustige « les déboires de l’école », dénonce les atteintes à la laïcité qui « nous arrivent de l’extérieur et d’une religion qui n’a pas de fondement historique dans notre pays », plaide pour une sécurité renforcée en fustigeant la guerre des polices entre « flics et pandores : les frères ennemis », appelle de ses vœux la déchéance de nationalité pour les candidats au djihad… Feu à volonté ! « Moi qui suis un homme d’autorité et qui ai toujours défendu mon pays, je ne vais pas laisser ces discours au Front national, lance Bertrand Soubelet. Le FN s’en est emparé parce que les autres partis, avec leur lâcheté habituelle, les ont lâchés. Le FN, c’est comme la peste : dès qu’il dit quelque chose, on s’en éloigne… Mais pourquoi ? Les constats qu’il fait sont empreints de bon sens et vrais, mais les solutions qu’il propose sont mauvaises. »
« La valeur de l’exemple »
Ça va trembler aux Quatre-Colonnes, le hall de l’Assemblée où les journalistes tendent caméras, micros et stylos aux députés ? N’ayez pas peur ! Ce catholique pratiquant – mais vibrant défenseur de la laïcité, « la République est laïque, pas fatalement notre pays, nuance ! » – s’emploie aussi à restaurer la mesure et la bienveillance dans le débat public. Mission salutaire. « La vie publique dans notre pays est marquée en permanence par l’excès et la démesure, c’est ce qui nous perd, glisse Bertrand Soubelet. Je crois en la valeur de l’exemple : quand les Français voient leurs responsables politiques s’invectiver dans l’hémicycle, que pensez-vous qu’ils croient ? »
Un constat qui le conduit à des positions parfois déroutantes, comme, dans son livre, à propos des kamikazes tireurs qui ont attaqué la France, dont il tente de décrypter le parcours avant de juger sans procès. « J’ai pris la précaution d’étudier les profils de ceux qui ont commis les attentats depuis les frères Kouachi, explique le général Soubelet au Point. Et je me suis aperçu qu’il s’agissait de marginaux, délinquants, mal dans leur peau, dépourvus d’équilibre personnel… Le seul moment où ils existent, c’est en donnant la mort. Et je précise que tous – sauf un – n’avaient jamais mis les pieds dans une mosquée… »
Courageux mais pas téméraire, avant d’annoncer sa décision pour les législatives, Soubelet est allé discuter avec André Santini, l’inamovible maire d’Issy-les-Moulineaux et baron des Hauts-de-Seine. La conversation a duré quarante minutes. « À la fin, confie Bertrand Soubelet, il m’a dit : Vous avez la stature, il faut y aller ! » Le candidat a alors sollicité les maires de Vanves et de Boulogne-Billancourt, puis il a envoyé une lettre à chacun des élus municipaux pour se présenter.
Problèmes d’ego
Mais que va-t-il faire dans cette galère ? « Il y a dix-huit mois, jamais je n’aurais pensé me lancer en politique, assure Bertrand Soubelet. Le fonctionnement de ce monde est aux antipodes du mien : je suis un type clair, spontané, sans calculs. Je sais que je vais m’en prendre plein la gueule. Maintenant, reste la question essentielle : qu’est-ce que je peux faire pour mon pays ? Je ne vends pas du vent, je ne prétends pas détenir la vérité ; j’ai trente-cinq ans de pratique professionnelle transposable à la vie politique. »
Et aucune blessure narcissique dans tout ça ? « Il est vrai que beaucoup d’hommes et de femmes publics n’ont pas réglé la question de leur ego, rétorque notre homme. Or, normalement, plus on avance en responsabilité, plus l’ego doit s’effacer devant l’intérêt général. Le problème est qu’il y a peu de place dans la vie de beaucoup pour la spiritualité au sens large, ce qui permet de prendre conscience que nous sommes peu de choses et que, souvent, les réalités nous dépassent. » Certes.
Mais son ego, à lui, qui semble prendre quelque plaisir à l’agitation médiatique ? Un brin irrité, mais sans se départir de son regard qui sourit, Bertrand Soubelet lâche tout de go : « J’ai été numéro trois de la gendarmerie, on m’appelait mon général ; si j’avais eu des problèmes d’ego, je les aurais réglés depuis longtemps… » Rompez !