Ingrid Fouquier est gendarme et dessine des portraits-robots
Des portraits d’hommes aux mines peu engageantes s’alignent sur un tableau, dans le dos d’une femme aux yeux rieurs. Son uniforme ne cache rien de sa profession. Ingrid Fouquier est gendarme. Sa spécialité : portraitiste.
De son bureau vitré, au siège de la gendarmerie départementale de Saint-Brieuc, l’adjudant-chef Ingrid Fouquier, 38 ans, réalise des portraits-robots. Des dessins qui aident les enquêteurs à identifier un suspect, comme cela se pratique désormais dans tous les départements français. Cette analyste criminelle de la brigade départementale de renseignements et d’investigations judiciaires a croqué treize portraits l’an dernier et déjà au moins autant depuis janvier.
Ingrid Fouquier était technicienne en identification criminelle, en 2008, quand elle s’est formée au portrait-robot, à Fontainebleau. Ses armes ne sont pas le crayon ou les pinceaux employés autrefois, mais la souris de son ordinateur et une juste dose de psychologie. Car ce sont les victimes qui, le plus souvent, la guident dans l’esquisse du portrait de leur agresseur, ou du cambrioleur qui les a dévalisées.
« Une victime se souviendra plus précisément des traits de son agresseur qu’un simple témoin. Parce que son cerveau aura enregistré un choc, décrit l’adjudant-chef. Parfois, quand la victime sort de l’hôpital, ou bien qu’elle n’a pas dormi, je l’installe dans une pièce calme, pour qu’elle soit en confiance. Car souvent, elle doute. » Le résultat dépendra beaucoup « de l’état de ses souvenirs ».
« Concentration extrême pendant une heure »
Commence alors un long tête-à-tête. Assise à côté de la victime, face à l’ordinateur, Ingrid mène un entretien, reconstitue le contexte. « Cet échange permet de vérifier que le témoin ne raconte pas d’histoires. C’est un bon exercice pour démasquer les faux témoignages. »
Elle replace ensuite la victime dans le contexte des faits. Et reconstitue le paysage. Était-ce le jour ou la nuit ? Puis, la description de l’agresseur s’engage : sa morphologie, sa corpulence, son allure. Le visage, trait par trait. Sur son logiciel, baptisé Sosie, défilent des centaines d’images. Des visages de toutes formes, une centaine de paires d’yeux, des nez, des bouches… « Le témoin s’arrête sur un visage, qu’on peut retoucher pour s’approcher de la physionomie recherchée. » La victime doit sélectionner précisément, en fouillant au plus profond de sa mémoire.
La portraitiste recherche un détail qui a frappé, tel qu’une cicatrice, un grain de beauté, des rides, un piercing… « C’est ce détail qui va identifier la personne recherchée. »Ingrid et le témoin sont côte à côte, face à l’écran. « J’ai besoin de retrouver les traits caractéristiques qui définissent la personne vue par la victime. Après, on cale cette image sur ce que sait l’enquêteur. »
Le marathon épuise autant la questionneuse que son interlocuteur : « Ce n’est pas physique mais cela demande une concentration extrême pendant une heure, voire beaucoup plus. » Ingrid Fouquier lui demande enfin de mettre une note de fiabilité au portrait reconstitué.
Orienter les enquêteurs
Une fiche de diffusion est ensuite envoyée aux enquêteurs et à toutes les brigades. Le portrait est beaucoup plus rarement envoyé à la presse. C’est un matériau à manipuler avec précaution pour éviter les fausses pistes. « Il constitue un élément d’enquête qui peut orienter les enquêteurs, mais ce n’est pas une preuve. Il ne peut pas, à lui seul, faire condamner quelqu’un. »
C’est plus rare, mais il arrive que, dans le cas de vols, un portrait-robot s’impose. Récemment, un soir, dans le pays de Lamballe, le propriétaire d’une voiture surprend quelqu’un, la tête dans le coffre de son véhicule. L’homme referme le coffre et s’en va. Le propriétaire dépose plainte.
Un autre fait semblable est observé tout près. Daniel Carfantan, enquêteur à la gendarmerie de Lamballe, appelle Ingrid Fouquier. Un portrait est établi : « On voit rarement les auteurs de vols à la roulotte. Là, il avait été vu », apprécie-t-elle.
Daniel Carfantan montre le portrait dans la commune, aux élus… Rien de frappant ne ressort. « Puis, sur la route, en patrouille, on voit tout à coup un gars qui pouvait correspondre. C’était vraiment ressemblant », se souvient le gendarme. En audition, le jeune homme finit par reconnaître qu’il est bel et bien l’homme recherché.
Marie-Claudine CHAUPITRE.