Migrants discriminés : une enquête interne vise les gendarmes de Norrent-Fontes
Publié le 04/05/2015
PAR CÉCILE RUBICHON ET MATTHIEU BOTTE
Dimanche, « Libération » publiait des extraits d’un dialogue enregistré à la gendarmerie de Norrent-Fontes, où des migrants voulaient porter plainte pour des violences, notamment de la part de policiers calaisiens. Propos discriminants, refus de plainte, une enquête est ouverte par l’inspection générale de la gendarmerie.
Les migrants de Norrent-Fontes sont au cœur d’une affaire qui met en cause policiers de Calais et gendarmes de Norrent-Fontes.
Comme chaque nuit, ce 24 juin, des migrants se glissent à bord d’un camion arrêté sur l’aire de Norrent-Fontes en espérant rejoindre l’Angleterre. À Calais, d’après les témoignages de migrants recueillis par des bénévoles et la journaliste de Libération, la police aurait ouvert le camion. La vingtaine d’hommes, de femmes et d’adolescents qui s’y étaient cachés sont priés de descendre.
Frappés à Calais ?
Un gosse, qui ne se serait pas exécuté assez vite, aurait été frappé par le chauffeur du poids-lourd, sous le regard des policiers. Pire, ces derniers auraient emmené les hommes sur un terrain vague et les auraient frappés chacun leur tour. C’est ce que rapporte notamment Clémence G., une juriste. Le lendemain, elle est prévenue par des bénévoles de Norrent-Fontes, où les migrants sont retournés se réfugier. Ils veulent porter plainte, alors elle les accompagne à la gendarmerie du village.
Propos douteux
Elle était loin de se douter de ce qu’elle allait entendre de la part du commandant et d’un autre gendarme. « Ça faisait trente minutes qu’ils répétaient les mêmes propos. Que les migrants devraient accepter certaines choses parce qu’ils sont en situation irrégulière. » Alors elle enregistre avec son téléphone : « Dans leur pays, ils oseraient dire que la police les a cognés ? », « Je me rends bien compte que c’est des gens qui sont dans la misère, je suis sûr qu’ils seraient mieux chez eux que de devoir traverser tout ce qu’ils traversent, mais quand on est dans leur situation, ben, faut tout accepter, malheureusement. » Les gendarmes auraient également insisté sur le fait que si les migrants portaient plainte, ils iraient en centre de rétention. Ils proposent d’en informer le procureur. Et d’en rester là.
Sur place, une bénévole reconnaît que les propos des militaires sont souvent choquants : « C’est bien de pouvoir enfin mettre ça au jour. Nous n’avons pas de rapports particulièrement difficiles avec les gendarmes de Norrent-Fontes mais quand l’un d’eux s’emporte, on coupe court. »
Non assistance, refus de plainte…
Discrimination, non-assistance, refus de plainte. Les accusations qui pèsent aujourd’hui sur les gendarmes de Norrent-Fontes sont lourdes. « Je me suis dit que si je n’enregistrais pas, personne ne me croirait, qu’on allait m’accuser de diffamation », justifie la juriste. Prévenue la semaine dernière, l’inspection générale de la gendarmerie nationale a ouvert une enquête pour vérifier les informations. Si elles se révèlent exactes, « ça peut aller très vite. » Mener à une sanction disciplinaire et à une procédure pénale.
La réaction du ministre de l’Intérieur
Bernard Cazeneuve était à Calais ce lundi. Interrogé au sujet des violences et des refus de plaintes dont seraient régulièrement victimes les migrants, il a assure qu’il n’y aura « aucune complaisance à l’égard de quiconque n’a pas été exemplaire. Une inspection est en cours. On ne sait pas aujourd’hui si les accusations prononcées sont exactes mais si elles sont vérifiées, elles exposent à des sanctions . »
Une plainte contre la police de Calais
Suite aux violences dont les migrants accusent les policiers de Calais, une plainte a finalement pu être déposée par Terre d’errance à la gendarmerie d’Isbergues le 27 juin. Le parquet de Béthune s’en est dessaisi au profit de celui de Boulogne. Impossible hier de savoir si elle a donné lieu ou non à l’ouverture d’une enquête.
PHOTO GUY DROLLET
Les réfugiés n’auront plus de toit demain
Il y a huit jours, deux des trois chalets qui accueillent les migrants depuis 2012 sur le camp sont partis en fumée. Un incendie qui n’a pas fait de victimes mais qui rend aujourd’hui les conditions de vie sur le camp encore plus difficiles.
Déjà désœuvrés, certains ont perdu beaucoup dans le sinistre. Une solution d’urgence a été trouvée pour héberger ces migrants sans toit dans la salle des Tilleuls. Une partie d’entre eux s’y rend chaque soir depuis lundi et rentre au camp chaque matin à 9 h.
« On fonctionne ici de manière empirique »
Une situation qui ne satisfait personne mais qui permet au moins de dormir avec un toit sur la tête. Demain, ça ne sera plus le cas. La salle est réquisitionnée pour une exposition qui est programmée ce week-end. Et pour l’heure, aucune alternative n’a été proposée aux sinistrés. Le sous-préfet Nicolas Honoré a bien conscience de la gravité de la situation mais se rend à l’évidence, « il n’y a pas de procédure spécifique dans ce cas ». Il n’y a pas de solution alternative mais le représentant de l’État espère pouvoir faire le point rapidement avec l’association Terre d’errance et la municipalité pour trouver une issue. « C’est une grande préoccupation pour moi mais nous n’avons pas à Norrent-Fontes de structure comme à Calais. Toute la différence est là, on fonctionne ici de manière empirique. »
Les migrants dormiront probablement dehors demain soir. Peut-être sous la bâche tendue dans l’urgence sur l’auvent de fortune, « rafistolé sur le chalet qui reste, se désole Nathalie, bénévole. Une future maman va accoucher dans les prochains jours. » Pour elle non plus, il n’y a pas de procédure d’urgence, juste les sapeurs-pompiers qui sauront intervenir le cas échéant.
Un bébé à naître dans quelques jours
Ce matin, les migrants devraient quitter la salle pour la dernière fois. Seuls. Les bénévoles refusent désormais d’aller les chercher chaque matin pour les ramener au camp. Parce que pour Nathalie et les autres, « c’est insupportable de les sortir de cette salle. Ils comprennent qu’on ne le fasse plus… » M. B.
A Calais, les policiers et gendarmes doivent être exemplaires avec les migrants, selon Bernard Cazeneuve
Mardi 05 mai 2015 à 08h04
Le ministre de l’Intérieur avait promis qu’il suivrait de près le dossier des migrants à Calais. Bernard Cazeneuve a visité lundi le nouveau centre d’accueil de jour et est revenu sur les accusations de violences des forces de l’ordre à l’encontre des réfugiés.
Bernard Cazeneuve et Nathalie Bouchart signent la création d’un centre d’accueil de jour des migrants à Calais © Emmanuel Sérazin – Radio France
Il y a en ce moment 2.000 migrants à Calais, et le nombre de réfugiés pourrait doubler d’ici l’été selon les associations qui les accompagnent. Six mois après avoir signé la convention avec la ville sur sa création, le ministre de l’Intérieur est venu une troisième fois lundi à Calais pour visiter le centre d’accueil de jour qu’il avait promis, à Calais.
Les forces de l’ordre doivent être exemplaires
Le minstre de l’Intérieur est revenu sur ses accusations contre les forces de l’ordre : des policiers auraient tabassé des migrants, et les gendarmes de Norrent Fontes auraient refusé de prendre leur plainte, explique le journal Libération.
« Je n’ai aucune complaisance à l’égard de quiconque dans mon administration qui n’a pas été exemplaire. Le droit à la plainte est un droit sacré (…) Si au terme des inspections, les faits sont averés, je prendrais mes responsabilités, comme je l’ai toujours fait » a déclaré le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve.
Bernard Cazeneuve exige que les forces de l’ordre soient exemplaires avec les migrants de Calais
Des conditions d’accueil indignes selon les associations
Oui, le nouveau centre d’accueil de jour propose douches et repas. « Mais avec un jeton qui limite l’utilisation de l’eau chaude à 4 minutes, a expliqué Philippe Vannesson, sur France Bleu Nord. Et un seul repas. Les migrants ont faim », dénonce l’auteur du blog Passeurs d’hospitalité.
Philippe Vannesson qui a décrit la nouvelle « jungle » autour du centre d’accueil de jour : « un sangatte sans toit », selon les associations humanitaires. « C’est une ancienne décharge, pour partie explique le militant. Et l’autre, c’est une étendue sableuse, un peu marécageuse. Les migrants ont construit des cabanes, mais ça reste une jungle, c’est-à-dire ce qu’on voit depuis 12-13 ans à Calais. C’est toujours la même précarité. C’est une forme de ségrégation. 2.000 personnes, ce n’est finalement pas beaucoup. On sait faire des camps pour 200.000 réfugiés »
Philippe Vannesson du blog Passeurs d’hospitalité, interviewé par Antoine Sabbagh