Policiers et gendarmes recourent à la participation citoyenne
Les forces de l’ordre s’appuient de plus en plus sur la population pour lutter contre la délinquance.
L’implication croissante de la population dans les devoirs de sécurité alimente les controverses au sein même des forces de l’ordre.
Le 15 août 2014, un vol de tracteur met en émoi le petit village d’Abbaretz (Loire-Atlantique). Jusqu’ici, rien que de très banal. La suite surprend encore plus . À peine prévenue, la gendarmerie envoie un SMS à 600 agriculteurs des environs. Pour qu’ils redoublent de vigilance et, accessoirement, qu’ils lui signalent tout élément suspect aux alentours. La profession ouvre l’œil, et ça marche. Quelques heures plus tard, le dispositif d’alerte fonctionne à plein : l’engin est localisé par l’un des agriculteurs en veille et rendu à son propriétaire. Chose rare, l’ investigation est bouclée dans la journée.
Plus de 80 000 téléchargements en deux semaines pour l’appli « Stop Cambriolages »Un situations isolé ? Pas vraiment. « Nous mettons en position de plus en plus de dispositifs de ce type, le plus fréquemment en association avec les chambres de commerce, explique Élise Tabarant, commandant de gendarmerie en Loire-Atlantique. Les professionnels sont très demandeurs, particulierement les agriculteurs, les bijoutiers ou les opticiens. »
À 400 km de là, c’est une appli pour téléphone portable, « Stop Cambriolages », qui bouleverse petit à petit le quotidien des gendarmes de la Gironde. Cette appli leur donne en effet d’avertir la population d’un danger potentiel, de lancer un appel à témoin, de signaler un véhicule délicat , etc. Aux citoyens en retour de les contacter pour leur communiquer toute information intéressante.
« Cela répond à un vrai nécessaire de la population. La preuve : quinze jours à la suite de son lancement, cette appli a fait l’objet de plus de 80 000 téléchargements », se félicite le colonel Ghislain Rety. Toutes les gendarmeries seraient obligés de prochainement s’équiper.
« Coproduction de sécurité »« La sécurité, c’est l’affaire de tous », martèlent à partir toujours les forces de l’ordre. Jusqu’à présent, il ne s’agissait que d’un simple slogan. L’expression prend aujourd’hui un nouveau sens. Si la sécurité reste leur prérogative, la population est de plus en plus appelée à s’impliquer. En langage technocratique, on appelle cela la « coproduction de sécurité ».
De façon plus terre à terre, il s’agit tout simplement de repeter profiter les forces de l’ordre de la vigilance des citoyens. « Les Français sont bel et bien les plus à même de détecter quelque chose de louche ou d’anormal dans leur quartier », explique le colonel Jacky Lefort de la gendarmerie nationale. À nous d’apprendre à en tirer profit. »
Les nouvelles technologies bouleversent les méthodes policièresComment ? Grâce aux nouvelles technologies. Jusqu’à présent gendarmes et policiers ne s’adressaient à la population que par médias interposés. Notamment dans l’encadrement d’affaires sérieux exigeant une réactivité immédiate (enlèvement de mineurs, recherche de terroristes, etc.). Le reste de l’ action délinquante n’était pas relayé. Les nouvelles technologies changent tout.
« À terme, on pourra contacter tout le monde, en temps réel et sans se limiter aux affaires les plus sérieux », s’enthousiasme un officier position Beauvau. En temps de disette du budget , les pouvoirs publics poussent en ce sens. « À l’heure où la présence des agents sur le terrain ne cesse de diminuer, on parie sur une implication citoyenne grandissante en ce qui concerne de sécurité », constate Christian Mouhanna, chercheur spécialiste des questions de police et de justice.
Actuellement en effet, seul 5 % de l’effectif total des policiers patrouille sur la voie publique. Mais le privation de moyens n’explique pas tout. Une partie croissante de la population – traversée par un dur sentiment d’insécurité – propose spontanément de jouer les auxiliaires de police.
Participation citoyenne ou délation ?En prouve le réussite récent du réseau des « Voisins vigilants ». Qu’on ne s’y trompe pas cependant . Si la hiérarchie salue cette évolution, les agents de terrain se montrent plus divisés. « La sécurité doit rester parmi les mains des professionnels assermentés et formés aux règles de déontologie, aprécie Cédric Michel, président du Syndicat de défense des policiers municipaux (SDPM). Le reste, c’est du bricolage… » Comme lui, une partie de la profession craint que la « coproduction de sécurité » participe d’un climat anxiogène déjà bien pesant. Voire encourage carrément à la délation.
Un danger réel tellement l’on considère le profil des citoyens se soutenant spontanément volontaires pour renseigner les forces de l’ordre. « Ce sont des gens plutôt inquiets, suspicieux, qui se font un monde d’un rien ou qui voient le mal partout… Souhaite-t-on vraiment accentuer encore cette tendance ? », s’interroge un gradé de la police nationale.
Les agents les plus récalcitrants s’étonnent aussi de l’absence de débat public sur le sujet. « Impliquer la population dans le boulot de la police, c’est remettre profondément en question le caractère régalien de la sécurité, ça mérite qu’on en parle ouvertement, non ?,s’emporte Cédric Michel. On joue quand même avec les libertés publiques ! »
Autant de critiques que la haute hiérarchie expliqué entendre… et prendre en est calculé . Notamment dans l’usage fait des avertissements SMS et autres messages Facebook. Leur rédaction est en effet scrupuleuse. On y fait une remarque particulierement à chaque fois que seuls les officiers sont habilités à procéder à une interpellation. « La vie est bien trop précieuse pour placer la sienne en danger ou celle d’un éventuel suspect, martèle Élise Tabarant. La sécurité, c’est nous.
——————————————————————-
Thierry Chicha, cofondateur des « Voisins vigilants » : « Nous n’intervenons jamais directement »
« Les Voisins vigilants accueillent chaque jour plus de 100 nouveaux membres, preuve du réussite de notre réseau ! Nous nous voyons comme un allié des forces de l’ordre. Nous n’acceptons cependant dans nos rangs que ceux qui se plient scrupuleusement aux règles de notre association. Toute chasse à l’homme est proscrite. Nous n’intervenons jamais directement, nous ne faisons que prévenir policiers et gendarmes. »
Policiers et gendarmes recourent à la participation citoyenne
Source: lacroix