Divorce avant l’heure pour le mariage forcé entre police et gendarmerie?
L’Intérieur prévoit de réunir le 1er septembre au sein de la même structure de lutte contre le crime organisé les hommes de la direction régionale de la police judiciaire et les militaires de la gendarmerie
Les bans n’ont pas été publiés. Mais leur future union provoque déjà des remous. Au 1er septembre, le ministère de l’Intérieur prévoit de fusionner une partie des effectifs de la gendarmerie et de la police judiciaire dans une structure commune baptisée unité de lutte contre le crime organisé en Corse (Ucloc). Une mesure similaire devrait voir le jour aux Antilles et en Guyane qui subissent cette expérimentation.
Proposé par les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie, Claude Balland et Denis Favier, le projet est loin de faire l’unanimité.
La note confidentielle avait fuité le 19 février et n’en finit pas de raviver la guerre la plus célèbre en Corse après celle du banditisme, celle des képis et des casquettes.
« Les gendarmes ont peur de perdre leurs acquis »
Le premier front s’est ouvert hier à Ajaccio entre le commissariat et la préfecture de région. Sautant à pieds joints sur la visite du général Simon-Pierre Baradel qui devrait rencontrer les gendarmes, les syndicats policiers sont montés au créneau. En milieu d’après-midi, des représentants ont été reçus par le préfet de Corse pour critiquer la méthode et faire part de leurs principes. Oui à la réforme, mais non à celle-ci établie sans concertation, a été le mot d’ordre de Jean-Marc Bailleul, le secrétaire général du syndicat de la sécurité intérieure. Au plan régional, sept formations s’insurgent de la même voix contre cette union forcée. Une première. « Il faut rencontrer les gens de terrain pour que l’on arrive à penser cette fusion », a noté le représentant, demandant« que l’on arrête de mettre en concurrence la police et la gendarmerie ». Les initiés de la procédure savent que le code prévoit que le magistrat est seul directeur d’enquête. Il nomme le service qu’il estime compétent. Mais dans la pratique, les juges ont des affinités avec l’un ou l’autre. Cette émulation qui peut ressortir des enquêtes sensibles reçoit une couche de pression supplémentaire quand la hiérarchie s’en mêle. À moins que cela ne soit le politique qui exige des résultats immédiats…
Le secrétaire Bailleul a rappelé qu’un seul ministère, celui de l’Intérieur, réunit les deux maisons depuis 2010. Mais que de nombreuses disparités les séparent encore : « Nous ne travaillons pas sur le même logiciel, avons des méthodes différentes et puis un gendarme peut prendre sa retraite 10 ans avant un policier : on veut bien travailler avec eux, mais pas à côté ». La note secrète du procureur de Bastia le mettait en exergue en 2012.
Le syndicaliste policier tranche dans le vif : « Il faut inscrire cela dans la procédure pénale et aller plus loin : on prend les compétences et on fusionne tout, mais les gendarmes ont peur de perdre leurs acquis». Ambiance…
Car le syndicaliste policier tire à roquettes rouges : « Ce sont les gendarmes qui ont fait fuiter la note confidentielle car ils ont peur de perdre leurs acquis ».
Au plan local, le représentant Richard Burkutally affirme rester « vigilant » et« unis avec les autres formations » sur la suite des événements.
« Loyaux, les gendarmes ? Et les paillotes ? »
Prêchant pour sa paroisse, Jean-Marc Bailleul réclame que l’on mette fin en France à cette duplicité de forces, l’une civile, l’autre militaire : « Tout ce qui est en doublon coûte cher »
On l’aura compris, il choisit de garder la première et soutient le savoir-faire des policiers.
En même temps, même si des affaires criminelles liées au grand banditisme ont mené à des résultats ces derniers mois, on ne peut pas dire que le taux de résolution judiciaire de la police bat des records depuis cinq ans.
« Le ministère a déclaré que les gendarmes étaient loyaux, mais que je sache, qui a fait brûler les paillotes… ? », lance-t-il. Les gendarmes, verrouillés par le devoir de réserve militaire ne sont pas à armes égales et n’ont pu répondre à ce feu nourri.
Le colonel Thierry Cayet a simplement rappelé que la visite du général Simon-Pierre Baradel a échangé autour des propositions Favier-Balland.
« A ce stade, on s’inscrit dans une démarche simple : que chaque militaire se projette comme un acteur du dispositif de demain », poursuit prudemment le colonel Cayet.
« Efficacité et sécurité pour la Corse »
S’inscrivant dans la ligne du discours officiel, le colonel affirme que cela sera mis en œuvre de façon cohérente en visant « l’efficacité et la sécurité pour la Corse ». Contrairement à la création du pôle des Antilles-Guyane, dans l’île, c’est le directeur de la police judiciaire qui prendrait la tête de la structure, secondé par le patron de la section de recherches de la gendarmerie. Les militaires qui disposent de plus de moyens et d’une meilleure implantation sur le territoire ont donc plus à perdre.
Si des co-saisines se sont multipliées depuis 2012 dans différents dossiers, bien souvent, foi d’enquêteurs, elles sont purement formelles et ne « traduisent pas une réelle synergie au quotidien ». Chacun voulant garder ses informations, même si elles sont de plus en plus partagées dans des réunions, selon un cadre.
Reste aussi une interrogation : un bâtiment pourrait-il accueillir cette unité dédiée à la lutte contre le crime ? Les crédits de l’État se réduisant à vue d’œil, cela n’est pas sûr.« Le parc immobilier existant » sera utilisé répond la note confidentielle.
En dehors de l’enquête sur le crime organisé proprement dit, l’organisation des prérogatives de l’Ucloc serait tripartite : un pôle de police scientifique, un de renseignement et le Gir, que les gendarmes devraient intégrer « au plus tard le 1er septembre 2015 » toujours selon la note. Enfin, des « groupes d’enquête mixtes »seront créés.
Sur le papier, cela semble fonctionner, mais comme dans le mariage pour tous ou pas, c’est la cohabitation qui sera le plus dur.
Tensions autour du rapprochement des services d’enquêtes judiciaires de la police et de la gendarmerie
Le général Baradel était en Corse le 24 février pour apaiser les tensions autour du rapprochement des services d’enquêtes judiciaires de la police et de la gendarmerie. Une réforme qui ne satisfait pas le Syndicat des cadres de Sécurité Intérieure ainsi que certains officiers de la gendarmerie.